Typologies de natures mortes
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Les bodegones : la nature morte à l’espagnole
Les bodegones désignent, dans la peinture espagnole du XVII? siècle, un genre particulier de natures mortes souvent associé à des scènes de cuisine ou de taverne. Le terme vient de bodega (cave, cellier, ou taverne), et renvoie à des compositions sobres, où des objets du quotidien — aliments, ustensiles, récipients — sont représentés avec une rigueur réaliste et une lumière austère. Contrairement aux natures mortes flamandes ou françaises, plus ornées et symboliques, les bodegones espagnols mettent l’accent sur la matérialité brute des choses, dans un esprit de dépouillement presque spirituel.
Des maîtres comme Diego Velázquez, Juan Sánchez Cotán ou Francisco de Zurbarán ont élevé ce genre à un haut niveau de précision formelle, conférant aux objets une présence silencieuse et méditative. Le bodegón peut ainsi être vu comme une nature morte « humble », mais investie d’une tension picturale et d’une force contemplative typiquement ibériques.
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Les natures mortes de chasse
Les natures mortes de chasse forment un sous-genre très prisé dans la peinture européenne, notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elles mettent en scène du gibier mort — lièvres, faisans, sangliers, canards — souvent accompagnés d’armes, de chiens, de filets ou d’accessoires de vénerie. D’abord perçues comme un symbole de prestige aristocratique, ces œuvres décorent les intérieurs de chasse ou les demeures nobles, exaltant les plaisirs cynégétiques.
Mais au-delà de leur fonction décorative, elles portent une dimension symbolique forte, relevant parfois de la vanité : le gibier suspendu, les corps inertes, les yeux clos rappellent la précarité de la vie et la domination de la mort. Dans la peinture flamande, française ou allemande, ces scènes combinent souvent virtuosité technique, textures réalistes (plumes, poils, sang) et rigueur de composition. Chez des artistes comme Jean-Baptiste Oudry, Alexandre-François Desportes ou Jan Weenix, la nature morte de chasse atteint une sophistication qui mêle observation scientifique, célébration de la nature maîtrisée et mise en scène du pouvoir.
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Les ontbijtjes : l’art des tables mises dans la peinture hollandaise
Les ontbijtjes — littéralement « petits déjeuners » en néerlandais — désignent un type particulier de nature morte hollandaise du XVIIe siècle, centré sur la représentation de tables dressées avec soin, garnies d’aliments et d’objets du quotidien. Loin d’être de simples scènes culinaires, ces compositions mettent en valeur le raffinement bourgeois, tout en portant une charge symbolique latente : la richesse des mets (pain, huîtres, fromages, jambon, fruits, verres de vin ou bière), les ustensiles précieux en étain ou en argent, et le désordre subtilement orchestré évoquent à la fois l’abondance, le plaisir des sens et la fugacité des choses.
Les peintres Pieter Claesz, Willem Claesz Heda ou Jan Davidsz de Heem excellent dans l’art de restituer les reflets du métal, la transparence du verre, ou la texture des aliments avec une précision quasi tactile. Ces natures mortes dites « de déjeuner » oscillent entre réalisme minutieux, message moral discret, et célébration silencieuse du confort domestique protestant.
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Natures mortes d’instruments de musique
Parmi les déclinaisons du genre, les natures mortes d’instruments de musique occupent une place singulière, à la croisée du visible et de l’audible. Très appréciées aux XVIIe et XVIIIe siècles, notamment aux Pays-Bas, en France et en Espagne, ces compositions mettent en scène luths, violes, clavecins, flûtes, partitions, archets ou mandolines, souvent associés à des objets de lecture ou d’écriture. Ces œuvres célèbrent la culture lettrée et les arts libéraux, mais elles suggèrent aussi, à travers des instruments abandonnés ou désaccordés, une vanité silencieuse : la musique s’éteint comme la vie, et le plaisir des sens, ici transposé dans le registre sonore, est lui aussi éphémère.
Le soin apporté aux effets de matière — bois poli, cordes tendues, parchemins froissés — renforce cette tension entre beauté formelle et méditation existentielle. Chez des peintres comme Evaristo Baschenis en Italie, Harmen Steenwijck ou Edwaert Collier aux Pays-Bas, ces natures mortes atteignent une puissance poétique rare, où le silence des objets rend perceptible l’écho du temps.
Les natures mortes de fleurs occupent une place majeure dans l’histoire du genre, en particulier aux XVIIe et XVIIIe siècles, aux Pays-Bas, en France et plus tard dans la peinture anglaise. Bouquets somptueux de tulipes, roses, pivoines, œillets ou lys, ces compositions sont souvent agencées dans des vases de verre, de porcelaine ou de métal précieux. Mais derrière leur esthétique éclatante, elles véhiculent une dimension allégorique : les fleurs, prêtes à se faner, rappellent la brièveté de la vie, la fugacité de la beauté, et l’inconstance du monde.
Dans les œuvres de Jan Davidsz de Heem, Rachel Ruysch ou Jean-Baptiste Monnoyer, le soin extrême apporté aux textures, aux jeux de lumière, aux gouttelettes de rosée ou aux insectes dissimulés révèle une virtuosité technique au service d’un message symbolique discret mais profond.
Sous-genre philosophique de la nature morte, la vanité est un thème central dans la peinture baroque du XVIIe siècle. Typique des pays protestants mais aussi présent en France et en Espagne, ce type de composition met en scène des symboles de la mort, du temps qui passe et de la vanité des biens terrestres : crânes, sabliers, bougies éteintes, bulles de savon, montres, livres, pièces d’or ou instruments de musique. Ces objets sont souvent présentés dans un équilibre savamment calculé, où chaque détail renforce un message moral : la gloire, le savoir, les plaisirs des sens sont illusoires face à l’inexorabilité de la mort.
Des peintres comme Philippe de Champaigne, Harmen Steenwijck, Pieter Claesz ou Simon Renard de Saint-André ont donné à ce genre une profondeur intellectuelle qui dépasse la simple prouesse picturale. La vanité rappelle ainsi que l’art, même dans son éclat formel, peut être un memento mori.
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Photos :
- Henri Fantin-Latour (France, 1836-1904), Nature morte : coin d'une table, 1873, huile sur toile, CC0 Chicago Art Institute.
- Paolo Antonio Barbieri (Italie, 1603-1649, attribué à, Nature morte à la cuisine, 1635/1645, huile sur toile, CC0 Chicago Art Institute.
- Juan Sanchez Cotan (Espagne, 1560-1627), Nature morte aux gibiers à plumes, 1600/1603, huile sur toile, CC0 Chicago Art Institute.
- Willem Claesz Heda (Hollande, 1594-1680), Nature morte de petit-déjeuner, 1647, huile sur panneaux, CC0 Chicago Art Institute.
- Jean-Baptiste Oudry (France, 1686-1755), Nature morte aux singes, fruits et fleurs, 1724, huile sur toile, CC0 Chicago Art Institute.
- Adolphe Joseph Thomas Monticelli, Nature morte aux fruits et pichet de vin, 1874, huile sur panneau, CC0 Chicago Art Institute.
- Odilon Redon, Nature morte aux fleurs, 1905, huile sur toile, CC0 Chicago Art Institute.
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